Interview de Yoann Vornière

Yoann vorniere interview

Interview

A l’occasion de la Japan Expo 2024, j’ai eu l’honneur, grâce aux éditions Kana, d’interviewer Yoann Vornière.

Inconnu Day (ID) : Bonjour Yoann, tu dois en avoir marre qu’on te pose cette question, mais est-ce que tu pourrais te présenter ?

Yoann Vornière (YV) : Je m'appelle Yoann Vornière, je suis auteur et dessinateur de SILENCE aux éditions Kana, qui est un manga français.

SILENCE

ID : Ça fait combien de temps exactement que tu es dessinateur ou que tu te définis comme tel ?

YV : Je pense que ça doit faire 10 ans.

ID : Dans d’autres interviews, tu racontais que ce qui t'avait lancé dans la voie du dessin, c’était qu’on te félicitait là dessus quand tu étais petit. Qu’est-ce qui t’a donné envie de dessiner à l’époque ?

YV : En faite quand on est gamin, on nous propose toujours une feuille et un crayon pour pas embêter les adultes. Du coup, moi je dessinais beaucoup, j’étais beaucoup dans mon coin et c’était une activité que j'appréciais. En fait, il y a beaucoup de gens qui abandonnent le dessin au fur et à mesure et trouvent d’autres passions, ou alors ils complexent sur le dessin en disant “ah, je sais pas dessiner”. La seule différence, c’est que moi, je n'ai pas arrêté.

ID : Donc c’est venu plutôt naturellement finalement ?

YV : Oui, c’est ça ! Ça et les compliments qui font que c’est plus facile de pas arrêter quand on te complimente sur ton dessin.

ID : Je ne pense pas prendre un grand risque en affirmant que, comme moi et beaucoup d’autres ici, tu as grandi en partie avec la culture manga et anime.

YV : Carrément, oui !

ID : Le petit Yoann, c’était quoi le manga ou l’anime qu’il attendait vraiment quand il était petit ?

YV : Bah c’était Dragon Ball, forcément ! Pokémon aussi un petit peu. En fait, on avait les deux dans des demi-tomes en kiosque. Donc le manga Pokémon : la grande aventure dessiné par Mato, je trouve que ça m’a inspiré. Pas au même niveau que Dragon Ball, mais je le mets quasiment au même niveau. Quand je l’ai relu, je me suis rendu compte que beaucoup de choses sortaient de là. Donc ouais, c’est deux manga et anime dont j’étais vraiment fan enfant.

Dragon Ball
Pokémon

ID : Tu es un petit peu entre ma génération, qui est plus Pokémon et Yu-Gi-Oh, et la génération précédente, qui a eu Dragon Ball, finalement.

YV : C’est ça ! Yu-Gi-Oh, c’est arrivé quand j’étais fin primaire ou début collège. Donc j’ai connu les deux premières générations. J’ai fait un concours Yu-Gi-Oh sur la première et après j’ai arrêté. GX, tout ça, je n’ai pas suivi.

Yu-Gi-Oh
Yu-Gi-Oh GX

ID : Le petit Yoann, il se voyait faire quoi plus tard ?

YV : Auteur de BD. Depuis le début, auteur de BD ou auteur de manga. En fait, j’ai tracé tout droit. J’avais ça dans la tête. Il y a un moment où je me suis un petit peu égaré, je me suis dit “peut-être ce serait mieux de faire de l’animation, parce que c’est peut-être plus simple de trouver un métier” et en fait non. Le manga et la BD, ça m’a rattrapé.

ID : Finalement t’as réussi à réaliser ton rêve de gamin.

YV : Complètement !

ID : Tes parents sont militaires et vous avez souvent déménagé. Tu penses que ça a eu une influence sur tes œuvres ?

YV : Ça a du, oui. Ça a dû influencer sur pleins de choses… Typiquement, l’église qui est dans le début du tome 1 de SILENCE, c’est l’église qu’il y avait, quand j’étais petit, dans mon village. Il y a des choses comme ça… Des rencontres avec des gens qui m’ont donné envie de continuer de dessiner, des gens avec qui je me suis entendu… Donc c’est plus des rencontres ! Après, est-ce que ça m’a inspiré ? Concrètement, je ne sais pas trop. Mais dans mes inspirations, il doit y avoir des rencontres avec des nouvelles personnes régulièrement. Le fait de te dire que tous les deux ou trois ans, tu rencontres des nouvelles personnes et il faut repartir à zéro.

ID : Masashi Kishimoto, l’auteur de Naruto, est un grand fan de cinéma, dont il s’inspire beaucoup. Et toi ? Il y a quelque chose qui t’inspire beaucoup ?

YV : Je suis très très fan de manga et de BD, donc je vais piocher d’abord là. Après, je suis très fan de cinéma aussi, mais depuis que je suis sur SILENCE, j’ai plus trop le temps d’aller en salle. Mais avant, notamment quand j’étais sur Paris avec la carte illimité, je me faisais trois ou quatre ciné par mois, de façon assez régulière. Ce qui était bien, c’est qu’il y avait des ressortis de film, donc c’était cool pour découvrir.

ID : Il y a un mangaka que tu considères comme ton maître spirituel ?

YV : Non, pas vraiment. Par exemple Toriyama, je trouve que ce qu’il a réussi à faire dans son trait, son univers et la manière dont tout le monde a été touché par son œuvre est assez fantastique. Tout ça en toute décontraction. Il a un trait très élégant, il y a très peu de trait, très peu de trame…

ID : C’est une écriture très directe en fait.

YV : Oui, c’est ça ! C’est chouette ! Et j’ai trouvé ça assez fantastique. Après, même aujourd’hui, il y a des auteurs comme Shuzo Oshimi, qui fait Les liens du sang, qui est un auteur absolument fascinant. Toute sa carrière est intéressante à étudier, son évolution d’un dessin très normalisé à quelque chose de beaucoup plus explosif et nerveux. Il y a Daisuke Igarashi, également, que j’aime beaucoup, avec Les Enfants de la Mer… En fait, il y a énormément d'auteurs dont j’apprécie le travail. Et plus je fais ce taf, plus je me mets à apprécier des auteurs dont je ne voyais pas encore le travail.

Les liens du sang
Les enfants de la mer

ID : Tu n’as pas vraiment un maître spirituel, mais tu multiplies les inspirations.

YV : Quand tu aimes ce médium là, tu trouves de l’inspiration dans tout ce qui se fait.

ID : Toi qui a déjà fait de l’auto-édition, est-ce que tu pourrais me donner un bon point et un mauvais point du fait de travailler avec un éditeur ?

YV : Bon point : on n’a pas à gérer l’impression, la maquette, le marketing… On n’a pas à se dire “Ok, faut que j’arrive à vendre ce bouquin.”, etc. On est payé… Donc des points positifs, j’en trouve plein ! Point négatif : tout est plus lent. Parce que, quand t’es tout seul, comme tu fais tout à plus petite échelle, dès que t’as une idée, 2 mois plus tard elle est réalisée. Là, je vois des gens qui sont en auto-édition, s’ils veulent faire des produits, des goodies, etc… Comme ils sont tous seuls, ils n’ont rien à faire valider, ils n’ont aucun budget à réussir à négocier, donc tout va beaucoup plus vite, mais à moins grande échelle. C’est un peu le proverbe, tout seul tu vas plus vite et à plusieurs tu vas plus plus loin. C’est vraiment ça avec un éditeur.

ID : Tu trouves que c’est plus facile avec un éditeur ou pas ?

YV : Oui, sinon j’aurais continué de travailler en indépendant. Je trouve que c’est plus facile, mais il y a d’autres obligations. Mais de toute façon pour en vivre, c’est plus facile avec un éditeur.

ID : Pour toi, qu’est-ce qui différencie le plus ton travail de celui des autres ? Le point qui fait que, c’est ta patte à toi ?

YV : Je n’en sais rien du tout. Honnêtement, c’est ça qui est assez drôle, on me dit beaucoup “Ah, c’est cool, parce que tu as ta patte”... Et on me dit aussi beaucoup “ça ressemble à Radiant”... Donc il y a un peu les deux discours, je ne sais pas trop…

ID : Personnellement, je ne trouve pas que les deux se ressemblent.

YV : Moi non plus, et j’en ai parlé avec Tony et il ne trouve pas non plus… Mais c’est une question à laquelle je ne saurais pas te répondre.

ID : L’an dernier, tu as dit que tu travaillais sur le tome 3 de SILENCE. Et aujourd’hui ?

YV : Là, je commence l’écriture du tome 5. J’ai fini le tome 4 juste avant la Japan Expo.

ID : J’ai vu qu’il était programmé, en effet.

YV : Oui, le tome 4 sort en fin d’année et le tome 5… On verra combien de temps ça va me prendre… Mais j’espère tenir le rythme.

ID : C’est plutôt bon signe en tout cas. Pour toi, qu’est-ce que c’est la recette d’un bon shonen ?

YV : Shonen c’est large. Aujourd’hui le shonen c’est LE registre de lectorat qui doit toucher tout le monde, globalement.

ID : Alors Shonen plutôt nekketsu.

YV : Alors, il doit y avoir de l’action, de l’aventure, un truc qui permet de l’emphase sur les émotions, l’action… Et essayer d’intégrer le plus de monde possible dans ton histoire. Il ne faut pas oublier qu’il y a des lecteurs dont ce sera peut-être le premier manga, d'autres en auront déjà lu plein… Il faut réussir à penser à tout ça pour un shonen, je pense.

ID : Parmi tout ce que les lecteurs ont pu dire ou écrire sur SILENCE, est-ce qu’il y a quelque chose qui t’as marqué particulièrement ? Est-ce que tu aurais une anecdote à nous raconter ?

YV : Au tome 2, il y a des tournesols. Quelqu’un m’a dit en dédicace “fais-moi un tournesol et je vais me le faire tatouer”. J’étais en mode “ah bon, on en est là ! Ok, ok !”. Ça, par exemple, c’était marquant.

ID : Certains mangaka progressent en faisant des pauses, entre deux œuvres, ou en attribuant une partie de leur temps à l'entraînement. Et toi ?

YV : Je ne trouve pas le temps. Mais effectivement, quand on bosse sur un projet, on progresse plus. Je pense à un auteur comme Sanshiro qui a eu une progression faramineuse et qui est, aujourd’hui, vraiment un monstre en termes de technicité, de narration, de dessin, de découpage… C’est fou ! Il était déjà très très bon sur sa série, mais depuis qu’il a arrêté, c’est assez dingue. Donc pendant la série, c’est juste essayer de se dire, entre chaque tome, pendant que je suis sur l’écriture, essayer de redéfinir un cadre et une direction vers lesquels aller. Soit réfléchir à aller plus vite, soit réfléchir à être plus rigoureux, minutieux, soit… Là, par exemple, une réflexion que je me faisais, c’est que je devrais essayer de trouver plus de nervosité dans le trait. Des choses qui sont des fois assez flous, mais de se dire “Pour mon tome, ce sera cette direction là”.

ID : En fait, tu fais un travail sur toi même sur la continuité plutôt que de t’arrêter.

YV : C’est ça !

ID : En ce moment, le manfra se fait petit à petit une place dans le secteur. Tu penses que la prochaine étape, c’est quoi ?

YV : La prochaine étape c’est qu’on ait une industrie qui permette de faire survivre ces séries sur le long terme. Parce que pour l’instant on n’en a pas beaucoup… Outlaw Players, Radiant, Dream Land, et surement d’autres que j’ai pas forcément en tête. Les lancer, j’ai l’impression qu’on y arrive. Alors, c’est toujours un pourcentage assez faible, mais c’est toujours pareil dans tous les milieux. Maintenant, l’objectif, c’est réussir à tenir sur la durée. Donc ça, ça va être peut être les anime, peut-être le marketing… En fait, il y a plein de solutions possibles ! Mais c’est ça qui va être, tout du moins pour moi, le nouvel enjeu.

Outlaw Players
Radiant
Dream Land

ID : Réussir à faire en sorte qu’il y ait pas juste une quinzaine d’exceptions qui arrivent à survivre, si je comprends bien.

YV : Oui, c’est ça.

ID : On va terminer avec l’Interview Pile ou Face.  C’est facile, je te donne 2 propositions et tu choisis l’une des deux, en justifiant ou pas.

1) Mario ou Sonic ?

YV : Mario !

2) Metal Gear ou Nier ?

YV : Nier. Pour les OST, car je ne joue ni à l’un, ni à l’autre.

3) Bleach ou Naruto ?

YV : Naruto ! Je suis chez Kana !

4) One Piece ou Hunter X Hunter ?

YV : One Piece. J’ai essayé Hunter X Hunter, qui là par contre est chez Kana, mais chut. One Piece, c’est tellement fou… Désolé Togashi, mais One Piece 1000 fois.

5) City Hunter ou Yu-Gi-Oh ?

YV : Yu-Gi-Oh ! City Hunter je suis un peu trop jeune pour être tombé dedans. Yu-Gi-Oh je suis tombé dedans complètement… Je me rappelle, j’avais demandé à mes parents de m’acheter certains boosters en japonais, avant même qu’ils sortent en français. J’étais vraiment à fond sur Yu-Gi-Oh. A cette période là, il y avait le premier film au cinéma et ils offraient des boosters collectors. J’étais allé le voir plusieurs fois pour avoir toutes les cartes. Yu-Gi-Oh ça m’a matrixé pendant quelques années.

ID : Je comprends. Le trait assez étiré, un petit peu à la Toriyama…

YV : Le trait de Kazuki Takahashi est assez aberrant, trop différent du reste ! C’est assez fou !

6) Shigeru Mizuki ou Leiji Matsumoto ?

YV : Shigeru Mizuki pour la démarche ! Je ne suis le lecteur ni de l’un, ni de l’autre en réalité. Mais sur la démarche de faire revenir les Yokais dans le quotidiens des japonais qui s’en étaient complètement désintéressés, ça m’a inspiré pour faire SILENCE avec les monstres du folklore français. Donc je dirais Shigeru Mizuki.

7) Naoki Urasawa ou Ai Yazawa ?

YV : Naoki Urasawa ! Il fait Manben, qui en plus de ses autres manga nous permet d’avoir accès à plein d’ateliers d’artistes et c’est très fort. Et c’est l’un des rares japonais qui sait dessiner des gros nez, donc ça, c’est génial !

8) Comédie romantique ou shojo ?

YV : Comédie romantique. En fait, je lis et je connais très peu de shojo. J’ai essayé et il y en a plein que je trouve super. Surtout chez Kana, ils ont une vraie collection de shojo, donc j’en ai essayé beaucoup.

ID : Il y a de très très bons shojo chez Kana, oui.

YV : Et oui, mais à chaque fois je trouve le premier tome super, mais je ne continue pas, malheureusement. Il y a un josei que j’ai lu qui s’appelle & de Mari Okazaki qui est vraiment super en 8 tomes, mais sinon je lis très peu de shojo. Donc je suis plus sur de la comédie romantique.

9) Film ou série ?

YV : Je dirais film dans l’absolue. Des séries, j’en regarde plein quand je travaille, mais je suis à moitié dans la série et surtout sur mon travail, donc je suis pas plus que ça.

ID : Tu le mets plus en fond pour faire quelque chose à côté, quoi.

YV : Oui, c’est ça. Alors que les films, le côté cinéma, c’est vraiment bien.

10) Manga ou Manfra ?

YV : Manga !

ID : Direct ?

YV :  Déjà manfra, l'appellation est très… Les auteurs de manga, en France, n’aiment pas trop ce terme car c’est un petit peu un mot “bizarre”. Elsa Brants, qui est aussi autrice (notament de Myrtis) chez Kana, utilise souvent cette explication : “Est-ce qu’une pizza française on appelle ça une pifra ? Non ! Alors un manga français, l’appelez pas manfra !”. Et surtout maintenant, en fait on parle beaucoup de manfra, mais on occulte beaucoup ce qui se fait dans les autres pays européen. En Espagne, en Italie, en Allemagne, il y a des auteurs et des autrices très très forts. Et même en Afrique, il y a des auteurs incroyables partout ! Alors que le terme manfra, ça ferme un peu là dessus. Le terme qu’on utilise professionnellement, c’est manga de création. Là où on créait un manga, alors qu’on se contente d’acheter des licences des japonais. Donc il y a manga de création contre manga de licence pour faire simple. Et si la question c’est “est-ce que je m’inspire plus du manga japonais ou du manga français ?”, je ne vais pas mentir, c’est le manga japonais qui m’inspire le plus.

ID : Tout dépend également de ce que l’on cherche. Personnellement je ne cherche pas dans un manfra la même chose que dans un manga. Le premier manfra que j’ai découvert, c’est Pink Diary de Jenny, qui était aussi l’une des premières à l’époque. Et je n’en attendais pas forcément la même chose que d’un manga japonais et en même temps, je retrouve quand même les codes que j’attendais.

YV : Bien sûr ! Là je parle vraiment juste d’avis personnel, de me dire que un Shuzo Oshimi, on n’en a pas encore en France et c’est plus de ça que je m’inspire. Même si récemment, Ankama a sorti Run to Heaven et c’est vraiment vraiment super.

ID : C’est peut-être que mon impression personnelle, peut-être que toi aussi tu le remarques du “côté auteur”, mais plus ça va et plus les deux genres se mélangent et aujourd’hui, on n’a plus vraiment une grosse distinction entre le manga et le manfra.

YV : Oui et puis maintenant, on a des auteurs de manga qui sont pré publiés dans les magazines japonais, édité ou même des auteurs de BD qui sont édités en magazine. Donc les barrières commencent à disparaître petit à petit, mais on est encore tout jeune dans le manga français, il y a encore tout à faire.

ID : La frontière commence à s’effacer, mais il en reste encore des fragments.

YV : C’est ça !

ID : Parfait ! Et bien, je te remercie !

YV : Merci à toi !

Encore un grand merci à Yoann et à l'équipe de Kana pour cette interview ! Rappelons que le tome 3 de SILENCE est sorti vendredi dernier, n’hésitez pas à aller lui faire honneur !

 

SILENCE

Date de dernière mise à jour : 16/07/2024

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